CHAPITRE XIV

Ils suivirent, à une allure modérée, l’allée incurvée, semée de gravier blanc, qui menait à la demeure du comte Dravor. C’était une grande maison blanche posée au centre d’une vaste pelouse garnie, de chaque côté, de haies soigneusement taillées et de massifs de fleurs tirés au cordeau, dont la lune, qui était maintenant juste au-dessus de leurs têtes, leur permettait d’apprécier les moindres détails.

Les soldats leur firent mettre pied à terre dans une cour située entre le jardin et le mur ouest de la résidence, puis on les poussa à l’intérieur sans ménagements, le long d’un interminable couloir qui menait à une lourde porte de bois ciré.

Ils entrèrent dans une salle somptueusement meublée, au centre de laquelle un homme efflanqué était avachi dans un fauteuil. Il portait un manteau sans manches, rose pâle, froissé et pas très propre, garni à l’ourlet et autour des emmanchures d’une bordure argent qui indiquait son rang. En les voyant entrer, le comte Dravor esquissa un sourire avenant, presque rêveur, et leva sur eux le regard vague de ses yeux soulignés de lourdes poches.

— Et qui sont ces invités ? demanda-t-il, d’une voix pâteuse, à peine audible.

— Les prisonniers, Messire, expliqua le soldat aux quatre doigts. Ceux dont vous avez ordonné l’arrestation.

— Parce que j’ai fait arrêter des gens ? articula péniblement le comte. Je n’en reviens pas d’avoir fait une chose pareille. J’espère ne pas vous avoir causé de désagrément, mes amis.

— Nous avons été un peu surpris, voilà tout, répondit prudemment Silk.

— Je me demande bien pourquoi j’ai fait ça, s’interrogea le comte. J’avais sûrement une raison. Je ne fais jamais rien sans raison, n’est-ce pas ? Qu’avez-vous fait de mal ?

— Nous n’avons rien fait de mal, Messire, lui assura Silk.

— Alors pourquoi vous ai-je fait arrêter ? Il doit y avoir un malentendu.

— C’est aussi ce que nous nous disions, Messire.

— Eh bien, je suis heureux que nous ayons éclairci cette énigme, révéla le comte, tout heureux. Je peux peut-être vous retenir à dîner ?

— Nous avons déjà dîné, Messire.

— Oh ! J’ai si peu de visiteurs...

Le visage du comte s’allongea sous l’effet de la déception.

— Peut-être votre intendant, Y’diss, se rappellera-t-il la raison pour laquelle ces gens ont été appréhendés, Messire, suggéra le soldat aux quatre doigts.

— Mais bien sûr, s’exclama le comte. Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ? Y’diss se souvient toujours de tout. Faites-le mander d’urgence.

— Oui, Messire.

Le soldat s’inclina devant lui et adressa un signe de tête péremptoire à l’un de ses hommes.

Quelques instants plus tard, instants que le comte Dravor passa à jouer d’un air rêveur avec les plis de son manteau, tout en fredonnant un air sans suite, une porte s’ouvrit au bout de la salle, devant un homme vêtu d’une robe chatoyante, ornée de broderies compliquées. Son visage reflétait une sensualité grossière et il avait la tête rasée.

— Vous vouliez me voir, Messire ? demanda-t-il d’une voix râpeuse, presque sifflante.

— Ah, Y’diss, fit le comte Dravor, l’air réjoui. Je suis ravi que vous ayez pu vous joindre à nous.

— Tout le plaisir de vous servir est pour moi, Messire, répliqua l’intendant avec une courbette sinueuse.

— Je me demandais pourquoi j’avais demandé à nos amis de s’arrêter chez nous. J’ai dû oublier. Vous en souviendriez-vous, par bonheur ?

— C’est une petite affaire de rien du tout, Messire. Je puis aisément m’en charger pour vous. Il faut que vous vous reposiez. Vous ne devez pas vous fatiguer, vous savez bien.

— Maintenant que vous me le dites, je me sens un peu las, en effet, Y’diss, repartit le comte en se passant la main sur le visage. Vous pourrez peut-être vous occuper de nos invités pendant que je me repose un peu.

— Assurément, Messire, fit Y’diss avec une nouvelle courbette.

Le comte se retourna et s’endormit presque aussitôt dans son fauteuil.

— Le comte n’est pas très en forme, commenta Y’diss avec un sourire onctueux. Il ne quitte plus son fauteuil, ces temps-ci. Ne restons pas ici, nous allons le déranger.

— Je ne suis qu’un marchand drasnien, Votre Grâce, reprit Silk. Et voici mes serviteurs — ainsi que ma sœur, ici présente. Nous ne comprenons rien à tout ceci.

Y’diss éclata de rire.

— Pourquoi persister dans cette absurde imposture, Prince Kheldar ? Je vous ai reconnu. Je vous connais tous, d’ailleurs, ainsi que la nature de votre mission.

— En quoi pouvons-nous t’intéresser, Nyissien ? demanda sire Loup, d’un ton glacial.

— Je sers ma maîtresse, l’Eternelle Salmissra, répondit Y’diss.

— La Femme-Serpent serait-elle l’instrument des Grolims, maintenant ? émit tante Pol. Ou s’incline-t-elle devant la volonté de Zedar ?

— Ma Reine ne s’incline devant aucun homme, Polgara, dénia Y’diss, d’un ton méprisant.

— Vraiment ? railla tante Pol en haussant un sourcil. Je m’étonne, dans ce cas, de trouver l’un de ses serviteurs en train de danser au son du fifre des Grolims.

— Je n’ai rien à voir avec les Grolims, objecta Y’diss. Ils fouillent toute la Tolnedrie à votre recherche, mais c’est moi qui vous ai retrouvés.

— Trouver n’est pas garder, Y’diss, énonça calmement sire Loup. Et si tu nous disais plutôt de quoi il retourne ?

— Je ne vous dirai que ce que j’ai envie de vous dire, Belgarath.

— En voilà assez, père, dit tante Pol. Je ne crois vraiment pas que nous ayons le temps de jouer aux devinettes avec des Nyissiens.

— A votre place, je ne ferais pas ça, Polgara, l’avertit Y’diss. Je sais tout sur vos pouvoirs. Levez une main, me seule, et mes soldats tueront vos amis.

Garion se sentit brutalement empoigné par derrière, et on lui appuya fermement une lame sur la gorge.

Les yeux de tante Pol se mirent subitement à jeter des flammes.

— Tu t’aventures en terrain dangereux !

— Je ne pense pas qu’il soit utile d’échanger des menaces, dit sire Loup. J’en déduis donc que tu n’as pas l’intention de nous remettre entre les mains des Grolims.

— Les Grolims n’ont aucun intérêt pour moi, siffla Y’diss. Ma reine m’a ordonné de vous remettre entre ses mains à Sthiss Tor.

— En quoi cette affaire intéresse-t-elle Salmissra ? S’enquit sire Loup. Elle n’a rien à voir là-dedans.

— Je lui laisse le soin de vous expliquer tout cela elle-même, quand vous arriverez à Sthiss Tor. Entretemps, j’aimerais bien que vous me racontiez certaines petites choses.

— Je doute que Tu remportes grand succès en ce domaine, déclara Mandorallen, non sans raideur. Il n’entre point dans nos habitudes de discuter d’affaires privées avec des étrangers aux manières déplorables.

— Et je pense, moi, que vous vous trompez, mon cher baron, répliqua Y’diss avec un sourire polaire. Les caves de cette maison sont profondes, et ce qui s’y passe peut être fort déplaisant. Mes serviteurs disposent d’un immense doigté dans l’application de tortures exquisément persuasives.

— Je ne crains pas Tes tourments, Nyissien, décréta Mandorallen, avec un mépris écrasant.

— Non, je veux bien croire que non, en effet. Pour avoir peur, il faut de l’imagination, et vous n’êtes pas suffisamment intelligents, vous autres Arendais, pour avoir de l’imagination. Toutefois, la souffrance affaiblira votre volonté — tout en procurant une saine distraction à mes serviteurs. Il n’est pas facile de trouver de bons tourmenteurs, et ils ont tendance à sombrer dans la morosité si on ne les laisse pas exercer leur art. Je suis sûr que vous me comprenez. Ensuite, lorsque vous aurez tous eu l’occasion de faire un ou deux séjours chez eux, nous essaierons autre chose. La Nyissie abonde en racines, en feuilles et en curieuses petites baies aux propriétés étonnantes. Chose étrange, la plupart des hommes préfèrent la roue ou le chevalet à mes petites décoctions, déclara Y’diss en éclatant d’un rire sans joie, affreux à entendre. Mais nous reparlerons de tout ceci quand je me serai occupé du coucher du comte. Pour le moment, les gardes vont vous emmener en bas, à un endroit que j’ai spécialement préparé à votre intention.

Le comte Dravor s’ébroua et les regarda d’un air égaré.

— Nos amis s’en vont déjà ? demanda-t-il.

— Oui, Messire, répondit Y’diss.

— Très bien, donc, dit-il en ébauchant un sourire. Eh bien, adieu, chers amis. J’espère que vous reviendrez un jour, que nous puissions poursuivre cette délicieuse conversation.

On emmena Garion dans une cellule humide et visqueuse, qui sentait les égouts et la pourriture. Mais le pire de tout, c’était l’obscurité. Il se blottit contre la porte de fer tandis que les ténèbres s’appesantissaient sur lui, presque palpables. D’un coin de la cellule émanaient de petits grattements et des bruits furtifs, comme d’une fuite éperdue, qui évoquaient des rats. Il s’efforça de rester le plus près possible de la porte. De l’eau gouttait quelque part, et il commençait à avoir la gorge sèche.

Il était plongé dans le noir, mais pas dans le silence. Des bruits de chaînes et des gémissements se faisaient entendre dans une cellule voisine. Plus loin, c’était un rire dément, un ricanement insensé qui se répétait sans trêve, encore et encore, interminablement renouvelé.

Puis quelqu’un poussa un cri aigu, déchirant, qui faisait froid dans le dos, et de nouveau un autre. Garion se recroquevilla contre les pierres gluantes du mur, imaginant aussitôt toutes sortes de tortures susceptibles d’expliquer ces hurlements d’agonie.

Le temps s’abolissait dans un tel endroit, et il aurait été bien incapable de dire combien d’heures il était resté pelotonné dans le coin de sa cellule, solitaire et désolé, lorsqu’il prit conscience d’un petit bruit de râpe et d’un cliquetis métallique qui semblait venir de la porte contre laquelle il était appuyé. Il s’écarta précipitamment, trébuchant sur le sol inégal de sa cellule, pour chercher refuge du côté du mur opposé.

— Allez-vous-en ! s’écria-t-il.

— Ne crie pas comme ça ! chuchota Silk, derrière la porte.

— C’est toi, Silk ? demanda Garion qui, pour un peu, se serait mis à sangloter de soulagement.

— Pourquoi ? Tu attendais quelqu’un d’autre ?

— Comment as-tu réussi à te libérer ?

— Arrête un peu de bavarder, tu veux ? fit Silk entre ses dents. Satanée cochonnerie de rouille ! jura-t-il, avant de pousser un grognement, auquel la porte répondit par un déclic doublé d’un raclement. Ah ! tout de même ! s’exclama-t-il, tandis que la porte de la cellule s’ouvrait en grinçant, et que la lueur vacillante des torches s’insinuait à l’intérieur. Viens, murmura-t-il. Dépêchons-nous.

Garion surgit de sa cellule comme un diable de sa boîte. Tante Pol attendait à quelques pas de là, dans le sinistre corridor de pierre. Garion s’approcha d’elle en silence. Elle le regarda gravement l’espace d’un instant et l’entoura de ses bras. Ils n’échangèrent pas un mot.

Mais Silk s’activait déjà sur une autre porte, le visage luisant de sueur. La serrure lâcha prise avec un claquement et la porte tourna sur ses gonds mangés de rouille, rendant sa liberté à Hettar.

— Je voudrais bien savoir ce qui vous a pris tout ce temps, demanda-t-il à Silk.

— La rouille ! cracha Silk, tout bas. Les geôliers de cet endroit mériteraient la bastonnade pour avoir laissé les serrures s’abîmer comme ça.

— Vous ne pensez pas que nous pourrions nous presser un peu ? suggéra Barak, qui montait la garde un peu plus loin.

— Tu veux le faire, peut-être ? rétorqua Silk.

— Dépêchez-vous, je vous en prie. Ce n’est vraiment pas le moment de nous disputer, dit tante Pol en pliant sa cape bleue sur son bras d’un air pincé.

Silk s’approcha de la porte suivante en ronchonnant.

— Vous ne pouvez pas arrêter de jacasser deux minutes ? demanda fraîchement sire Loup, en sortant — le dernier — de sa cellule. On se croirait vraiment dans un nichoir à perruches, ici.

— Le prince Kheldar n’a pu s’empêcher de faire des observations sur l’état de conservation des serrures, dit légèrement Mandorallen.

Silk lui jeta un regard noir et, prenant la tête de la colonne, les mena vers le bout du couloir au plafond noirci par la flamme fuligineuse des torches.

— Attention, chuchota Mandorallen d’un ton impérieux. Un garde !

Un barbu en justaucorps de cuir ronflait, assis par terre, le dos appuyé au mur du couloir.

— On essaie de passer sans le déranger ? suggéra Durnik dans un souffle.

— Il ne risque pas de se réveiller avant plusieurs heures, gronda Barak d’un ton sinistre.

La grosse bosse violette sur le côté de la tête du garde en disait plus long qu’un discours.

— Il a peut-être des collègues, vous ne croyez pas ? demanda Mandorallen, en s’assouplissant les doigts d’un air significatif.

— Il en avait quelques-uns, en effet, répondit Barak. Ils sont aussi au pays des rêves.

— Alors sortons d’ici, déclara sire Loup.

— Nous emmenons Y’diss avec nous, n’est-ce pas ? intervint tante Pol.

— Pour quoi faire ?

— J’aimerais bien avoir une petite conversation avec lui. Enfin, pas si petite que ça, réflexion faite.

— Pas la peine de perdre notre temps, objecta sire Loup. Salmissra est mouillée jusqu’au cou dans cette affaire. Nous n’avons pas vraiment besoin d’en savoir davantage. Au fond, ses motifs ne m’intéressent pas. Sortons de là aussi discrètement que possible, c’est tout.

Ils passèrent tout doucement devant le garde qui ronflait et tournèrent dans un autre couloir qu’ils empruntèrent tout aussi silencieusement.

— Il est mort ? fit, scandaleusement fort, une voix qui s’élevait de l’autre côté d’une porte munie de barreaux de fer derrière laquelle brillait une lueur rougeoyante, sinistre.

— Non, répondit une autre voix. Juste évanoui. Tu as appuyé trop fort. Il faut exercer une pression régulière et éviter d’infliger des secousses au levier ; autrement, ils tombent dans les pommes, et tout est à recommencer.

— C’est beaucoup plus dur que je ne pensais, pleurnicha la première voix.

— Tu ne t’en sors pas si mal, reprit la seconde voix. Ce n’est pas si simple, le chevalet. Pense simplement à appuyer régulièrement sur le levier, sans à-coups, parce que quand ils ont les bras qui sortent des articulations, généralement, ils meurent.

Le visage de tante Pol se crispa et ses yeux se mirent à jeter des éclairs. Elle fit un petit geste et murmura quelque chose. Un son étouffé se fit brièvement entendre dans l’esprit de Garion.

— Tu sais, gémit la première voix, d’un ton las, je ne me sens pas très bien, tout d’un coup.

— Maintenant que tu me le dis, je suis un peu patraque, moi aussi, renchérit la seconde voix. Tu n’as pas trouvé que la viande de ce soir avait un drôle de goût ?

— Non, je n’ai rien remarqué. Il y eut un long silence.

— Je ne sais pas ce que j’ai, mais je ne suis vraiment pas en forme, ce soir.

Ils passèrent en tapinois devant la grille, et Garion évita soigneusement de regarder derrière. Le couloir était fermé, au bout, par une solide porte de chêne massif, bardée de fer. Silk passa ses doigts autour de la poignée.

— Elle est verrouillée de l’extérieur, dit-il.

— On vient, s’exclama Hettar.

Des pas lourds retentissaient sur les marches de pierre, de l’autre côté de la porte, puis un bruit de voix et un rire enroué se firent entendre.

Sire Loup se dirigea rapidement vers la porte d’une cellule voisine et effleura du bout des doigts la serrure rouillée qui s’ouvrit en douceur, avec un claquement assourdi.

— Par ici, souffla-t-il.

Ils se précipitèrent tous dans la cellule. Sire Loup referma la porte sur eux.

— Lorsque nous aurons un peu de temps, j’aurai deux mots à vous dire, vous, grommela Silk.

— Vous aviez l’air de si bien vous amuser avec toutes ces serrures ; je n’ai pas voulu vous gâcher le plaisir, fit sire Loup, d’une voix melliflue. Allons, trêve de plaisanteries : il va falloir que nous réglions leur compte à ces hommes avant qu’ils ne s’aperçoivent que nos cellules sont vides et n’ameutent toute la maisonnée.

— Nous devrions pouvoir y arriver, assura Barak, confiant.

Quelques secondes passèrent.

— Ils ouvrent la porte, chuchota Durnik.

— Combien sont-ils ? demanda Mandorallen.

— Je ne sais pas.

— Huit, répondit tante Pol, avec assurance.

— Bon, décida Barak. Nous allons les laisser passer et les prendre à revers. Un hurlement ou deux n’auront pas d’importance dans un endroit comme celui-ci, mais ne faisons pas trop durer les réjouissances tout de même.

Ils attendirent, tendus, dans l’obscurité de la cellule.

— Y’diss dit que ça n’a pas d’importance s’il en meurt quelques-uns au cours de l’interrogatoire, pérorait l’un des hommes dans le couloir. Les seuls qui doivent absolument rester en vie sont le vieillard, la femme et le gamin.

— Tuons le grand barbu aux moustaches rouges, alors, suggéra une autre voix. Il a l’air d’être du genre à faire des histoires, et il est probablement trop stupide pour savoir quoi que ce soit, de toute façon.

— Celui-là, vous me le gardez, souffla Barak.

Les hommes passèrent devant leur cellule.

— Allons-y, fit Barak.

La lutte fut brève, mais sans merci. Ils s’abattirent sur leurs geôliers, surpris, et un combat acharné s’engagea. Trois hommes restèrent sur le carreau avant d’avoir compris ce qui leur arrivait. Un quatrième étouffa un cri de surprise, réussit à échapper à la mêlée et à repartir en courant vers l’escalier. Sans réfléchir, Garion plongea devant lui, roula sur lui-même, lui attrapa les pieds et le fit tomber. Le garde s’écroula, tenta de se relever, puis s’effondra à nouveau comme une poupée de chiffon, Silk lui ayant asséné un joli coup bien propre juste sous l’oreille.

— Tout va bien ? demanda Silk.

Garion s’extirpa tant bien que mal de sous le geôlier inconscient et se releva, mais le combat avait déjà presque cessé, faute de combattants. Durnik frappait la tête d’un gros bonhomme contre le mur, tandis que Barak balançait son poing dans la figure d’un second. Mandorallen en étranglait un troisième, et Hettar en coursait un quatrième, les bras tendus devant lui. L’homme, qui ouvrait de grands yeux affolés, ne poussa qu’un seul cri quand les mains se refermèrent sur lui. Alors le grand Algarois se redressa, tourna sur lui-même et projeta le garde contre le mur de pierre avec une force terrifiante. On entendit un bruit atroce d’os fracassés, et l’homme devint tout mou.

— Ça, c’était une belle petite bagarre, fit Barak en se frottant les jointures.

— Très distrayante, confirma Hettar en laissant retomber le corps ramolli sur le sol.

— Vous avez fini ? demanda Silk d’une voix rauque, depuis la porte qui donnait sur l’escalier.

— Presque, répondit Barak. Tu veux un coup de main, Durnik ?

Durnik souleva le menton du gros bonhomme et examina ses yeux vides d’un air critique. Puis il frappa encore une fois, par prudence, la tête du geôlier contre le mur avant de le laisser retomber.

— On y va ? proposa Hettar.

— Nous n’avons plus rien à faire ici, acquiesça Barak, en jetant un coup d’œil appréciateur au couloir jonché de corps.

— La porte n’est pas fermée, en haut, annonça Silk lorsqu’ils le rejoignirent. Et le couloir de l’autre côté est désert. Tout le monde a l’air de dormir dans la maison, mais ne faisons pas de bruit quand même.

Ils montèrent l’escalier en silence, sur ses talons, puis il s’arrêta un instant à la porte.

— Attendez-moi là, chuchota-t-il.

Il disparut, aussi silencieusement qu’un chat. Après ce qui leur sembla un long moment, il revint avec les armes que les soldats leur avaient prises.

— Je me suis dit que nous pouvions toujours en avoir besoin.

Garion se sentit bien mieux après avoir ceint son épée.

— Allez, cette fois on y va, dit Silk.

Il leur fit suivre un couloir, au bout duquel ils tournèrent.

— Je crois que j’aimerais bien un peu de la verte, Y’diss, ânonna la voix du comte Dravor, derrière une porte entrebâillée.

— Certainement, Messire, répondit Y’diss de sa voix rauque, sibilante.

— La verte n’a pas bon goût, poursuivit le comte Dravor, d’une voix endormie, mais elle donne de si beaux rêves. La rouge est meilleure, mais je ne fais pas de songes aussi agréables avec.

— Vous serez bientôt prêt pour la bleue, Messire, promit Y’diss. Et puis la jaune, et enfin la noire. La noire est la meilleure de toutes.

Ils entendirent un petit claquement, puis le bruit d’un liquide coulant dans un verre.

Silk les fit passer, sur la pointe des pieds, devant l’entrebâillement. La serrure de la porte qui donnait au dehors céda rapidement à son habileté, et ils se glissèrent tous dans l’air nocturne, baigné par la lune et qui sentait bon. Les étoiles scintillaient au-dessus de leurs têtes.

— Je vais chercher les chevaux, dit Hettar.

— Allez avec lui, Mandorallen, conseilla sire Loup. Nous vous attendons ici.

Il tendit le doigt vers le jardin hanté par les ombres.

Les deux hommes disparurent au coin de la maison, et le reste de la troupe suivit sire Loup dans l’ombre menaçante de la haie qui entourait le jardin du comte Dravor.

Ils attendirent. La nuit était fraîche, et Garion eut un frisson. Puis il y eut le cliquetis d’un sabot effleurant une pierre et Hettar et Mandorallen revinrent, menant les chevaux par la bride.

— Nous ferions mieux de nous dépêcher, déclara sire Loup. Dès que Dravor sera endormi, Y’diss ira faire un tour aux oubliettes et il ne lui faudra pas deux minutes pour s’apercevoir que nous lui avons faussé compagnie. Prenez les chevaux par la bride. Eloignons-nous un peu de la maison avant de commencer à faire du bruit. Ils traversèrent le jardin baigné par les rayons de la lune en guidant leurs chevaux derrière eux, puis lorsqu’ils furent sur la pelouse, ils se mirent en selle sans faire de bruit.

— Nous ferions mieux de nous dépêcher, suggéra tante Pol en jetant un coup d’œil derrière elle, en direction de la maison.

— Je nous ai assuré d’un petit peu de temps avant de partir, fit Silk avec un léger rire.

— Qu’est-ce que tu as encore inventé ? demanda Barak.

— En allant récupérer nos armes, j’ai mis le feu aux cuisines, déclara Silk avec un petit air très sainte nitouche. Ça les occupera toujours un moment.

Une vrille de fumée s’éleva de l’arrière de la maison.

— Pas bête, dit tante Pol, d’un ton admiratif.

— Grand merci, gente dame, répondit Silk en esquissant une courbette ironique.

Sire Loup eut un ricanement et leur fit adopter un petit trot alerte.

Tandis qu’ils s’éloignaient, la vrille de fumée s’épaissit, s’élevant, noire et huileuse, en direction des étoiles indifférentes.

La Reine des sortileges
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